Construire une société conviviale Etienne Autant
Construire une société conviviale - éléments de réflexion -
Interview d'Etienne Autant dans Le Pays
« Que chacun fasse ce qu’il faut pour mettre un peu de convivialité dans la vie. » Voilà le thème du dernier ouvrage publié par Étienne Autant, Construire une société conviviale, pour un nouveau modèle, qu’il présentera à la librairie Le Livre et la Plume le samedi 7 septembre de 9 h 30 à 12 h 30.
Ancien directeur du lycée pro de Chazelles
Après avoir voulu comprendre la religion dans ses deux premiers livres, Étienne Autant s’intéresse là au fonctionnement de notre société et à la crise, cherchant les raisons et les remèdes. En 150 pages, il répond aux sociologues et présente sa propre optique de convivialité : « faire le nécessaire pour bien vivre ensemble ».
Retraité de l’enseignement, Étienne Autant a eu des responsabilités sur l’ensemble des Monts du Lyonnais. Directeur du lycée professionnel à Chazelles pendant 25 ans, il a enseigné le droit et l’économie. Il était également président du Centre de soins infirmiers de Chazelles durant 7 ans. Il s’est investi dans diverses associations politiques, syndicales et culturelles.
Depuis quelques années, il s’intéresse au Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales (Mauss). Il lit les parutions bi-annuelles et permanentes de ce mouvement sur Internet, réagit à des articles et contribue à cette revue depuis 6 ans. Ainsi est née l’idée du livre sur la base de ses articles retravaillés. Mais Étienne Autant n’adhère pas totalement à la conception du convivialisme tel que le propose le Mauss dans son récent manifeste.
« Le convivialisme, explique-t-il, ne concerne pas seulement la société civile, il englobe également la famille, l’État, le marché. Comme M. Jourdain faisait de la prose sans le savoir, le convivialisme existe déjà dans la société civile lorsque chacun ne cherche pas son intérêt personnel ni gagner le maximum possible ! »
« Aujourd’hui la situation est comparable à celle précédant la Révolution, poursuit l’auteur. On y retrouve les injustices, une classe politique nulle, un bouillonnement et une période de maturation. Où cela débouchera-t-il et comment ? » Cependant, selon Etienne Autant, certaines initiatives vont dans le bon sens. Ce sont les ONG, les Restos du Cœur, les associations de bénévolat, les fêtes et les Journées du patrimoine.
« On manque de personnel mais il y a 10 % de chômeurs »
« L’argent est nécessaire, explique Étienne Autant. Mais il n’est plus entre les mains des politiques : il faut leur rendre les moyens financiers pour assurer les besoins de la population. On manque de personnel partout mais il y a 10 % de chômeurs dont 25 % de jeunes ! »
Étienne Autant analyse l’évolution de la société, les progrès et les déséquilibres, les crises. Il dénonce le libéralisme, souhaitant donner la priorité à l’homme, en relançant l’activité, en retrouvant la maîtrise de la monnaie, en évitant le surendettement et en envisageant une gouvernance mondiale. Il insiste également sur l’insertion dans la société avec le choix d’une utilité sociale qui passe avant l’intérêt individuel.
Le rythme des relations sociale Etienne Autant
Le rythme des relations sociales jeudi, 26 septembre 2013 / Étienne Autant Interview dans RHUTMOS |
Notre vie sociale est faite de relations, au sein de notre famille, au travail, avec des commerçants ou les services publics, entre amis et dans les associations. Le plus souvent les études sociologiques portent sur l’une ou l’autre de ces relations et ont tendance à s’intéresser à des sujets de plus en plus pointus. Une autre approche consiste à prendre du recul pour faire apparaître les points communs et les liens existant entre différents types de phénomènes. C’est dans cette perspective que j’ai écrit Construire une société conviviale [Autant, 2013] dans lequel je mets en relation les quatre domaines dans lesquels se déroulent les interactions entre les personnes et les groupes : la famille, l’État, le marché et le domaine du don. Je montre comment ces domaines se différencient entre eux et à quelles conditions ils peuvent être complémentaires.
En m’appuyant sur la théorie du rythme proposée par Pascal Michon, il m’est apparu qu’il était aussi possible de différencier les quatre grands domaines de relations non seulement par leurs motivations et leurs modes de réciprocité mais aussi par les rythmes qui les caractérisent. Selon lui, ces rythmes constituent « un assemblage de techniques du corps”, de “montages d’actes”, de “sélections d’arrêts et de mouvements”, d’“ensembles de formes de repos et d’action”, qui déterminent les manières de fluer d’un ensemble d’êtres humains, c’est-à-dire dans ce cas les variations d’intensité des interactions qui s’y produisent. » [Michon, 2012].
Or, ces interactions ne se font pas aux mêmes rythmes selon les domaines dans lesquelles elles se produisent. Il y a là tout un champ possible de recherche, dont je ne ferai ici que donner un bref aperçu en évoquant quelques rythmes spécifiques à chaque domaine puis en abordant les conflits de rythmes
Les rythmes des différents domaines sociaux
La famille
Deux types de rythmes principaux me semblent caractériser le fonctionnement de la famille : les rythmes quotidiens et hebdomadaires d’une part et, à une autre échelle, le rythme des générations. La cohabitation dans un même lieu fait que l’on se retrouve chaque matin et pour un certain nombre de repas pris en commun dans la journée ; la fin de semaine est l’occasion d’autres modes de relations plus prolongées. Sur le très long terme la vie est marquée par le passage d’une génération à l’autre : un premier temps passé dans l’enfance au sein de la famille fondée par les parents, puis la fondation d’une nouvelle famille par les enfants, famille qui à son tour se disperse quand ils arrivent à l’âge adulte. Les échanges au sein de la famille évoluent en fonction de ces âges de la vie avec la transmission des valeurs, des traditions et des biens matériels d’une génération à l’autre. Les relations se caractérisent ici par la continuité dans le temps et sont facteurs, en principe, d’équilibre et d’épanouissement personnel.
L’État
Dans l’État les relations s’établissent entre les citoyens et les pouvoirs publics. Elles s’échelonnent tout au long de l’année mais connaissent des temps forts qui reviennent à intervalles régulier : chaque année les contribuables ont l’obligation de remplir leur déclaration d’impôts, puis de s’en acquitter, l’année scolaire rythme la vie des jeunes, les vacances, et les fêtes patriotiques ou religieuses rythment la vie commune… Les élections reviennent à intervalles réguliers et découpent le temps et la vie politique selon des rythmes plus longs. Ces rythmes ne sont pas laissés à la libre décision des citoyens mais sont décidés et imposés par l’État.
Le marché
Le marché est le lieu ou, plus exactement, l’ensemble des lieux et des processus grâce auxquels se créent et s’échangent les biens et services. Il se caractérise par une alternance de production et de consommation qui ont leurs propres rythmes. La production se fait le plus souvent à des rythmes réguliers, quotidiens, hebdomadaires et annuels, fixés dans leurs modalités par les chefs d’entreprises ou les travailleurs indépendants. La distribution, elle, se fait à intervalles beaucoup plus irréguliers selon les besoins et les habitudes : des offres rencontrent des demandes et se concluent dans l’instant par l’échange d’un bien ou d’un service contre une somme d’argent, même si les conséquences de l’accord conclu s’échelonnent parfois ensuite dans le temps selon des rythmes propres (échéances d’emprunts, bail de location…).
Le domaine du don
Hors de la famille, de l’État ou du marché, se situe tout un ensemble de relations au sein de la société civile : relations amicales, associatives, religieuses… Ce domaine se caractérise apparemment par la liberté d’entrer ou non en relation mais s’inscrit en réalité au sein d’une obligation plus large, décrite par Marcel Mauss dans son Essai sur le don : celle de donner, de recevoir et de rendre. Ici, contrairement aux échanges du marché, il n’y a pas simultanéité d’une offre et d’une demande mais décalage dans le temps du don et du contredon selon le rythme propre aux relations suscitées par l’intérêt pour autrui. Il n’a pas non plus le caractère imposé du rythme que l’on trouve au sein de l’État ou de la famille.
Les conflits de rythmes
L’une des difficultés de la vie en société réside dans l’harmonisation des rythmes et ceci d’autant plus que cette vie en société est plus complexe. Il y a de nombreux occasions où les rythmes des différents domaines sont en décalage, et entrent en conflit.
Quelques exemples :
Quand quelqu’un veut monter une entreprise (= domaine du marché) il lui faut satisfaire à un certain nombre de démarches administratives (= domaine de l’État) dont les contraintes de temps sont infiniment plus longues que le timing du projet qui ne demande qu’à démarrer.
Quand une association (= domaine du don) veut lancer une initiative, il lui faut remplir une quantité de dossiers pour bénéficier des subventions que les collectivités locales ou nationales (= domaine de l’État) peuvent lui accorder. Les bénévoles qui lancent l’action et surtout les besoins parfois urgents des bénéficiaires de cette action sont sur un rythme d’urgences que les collectivités ne respectent pas. Il faudrait parfois pouvoir mener des actions dans les semaines suivantes et les dossiers demandent souvent des mois, si ce n’est des années.
Les besoins pressants des familles (= domaine de la famille) en termes de financement de leur logement ou de remboursement en cas de sinistre par exemple, se heurtent au temps que prennent les avis des experts des assurances ou des banques (= domaine du marché). Cela peut aussi interférer avec les rythmes des départements ou du gouvernement (= domaine de l’État) à décréter l’état de catastrophe naturelle et à verser les sommes annoncées mais très tardivement débloquées, ou à traiter les dossiers des demandeurs de papiers.
Les échéances choisies – au-delà des choix eux-mêmes – pour l’implantation à moyen ou long terme des routes, autoroutes et voies ferrées (= domaine de l’État) vont avoir un impact sur le développement plus rapide ou non de telles et telles entreprises (= domaine du marché) dans telle région.
Les rythmes scolaires décidés par le législateur (= domaine de l’État) ont des conséquences directes sur les rythmes familiaux (= domaine de la famille) qui peuvent en être sérieusement perturbés et qui doivent en tenir compte par la force des choses : par exemple les cours ou non les après midi ou les samedis, la longueur et l’étalement des petites vacances et la date de la rentrée nécessitent de prévoir les moments de vacances ensemble, la période de garde des enfants au niveau familial ou par d’autres moyens (crèches, garderies, nourrices) entraînant aussi des organisations de rythmes hebdomadaires et annuels pour l’ensemble des associations de sports ou loisirs (= domaine du don). Les décisions sur les rythmes scolaires ont aussi des conséquences – positives ou négatives – sur les entreprises (= domaine du marché) du tourisme, avec les dates de locations, hébergements et l’utilisation planifiée des équipements, et sur les entreprises de transport avec les embouteillages à gérer sur les autoroutes, les trains supplémentaires à prévoir à telle ou telle date.
Le rythme de la production des entreprises (= domaine du marché) avec jours de travail, nombre d’heures, travail posté ou de nuit et congés payés, interfère de toute façon avec les rythmes familiaux (= domaine de la famille) et même avec la possibilité ou non de participer à toutes les formes de la vie amicale et associative (= domaine du don). Le Droit du Travail (= domaine de l’État) donne un cadre légal à ce rythme – en termes de nombre d’heures, de temps de pause, de droit aux congés, etc. – mais ce Droit, d’abord inexistant, a évolué au cours de l’Histoire et présente aujourd’hui encore des disparités énormes selon les pays.
Cela pose de nouveaux problèmes lorsque le rythme de la production est accéléré pour répondre à une commande soudaine et urgente, surtout aujourd’hui où beaucoup d’entreprises travaillent à flux tendus. Ou à l’inverse lorsque les périodes de crise liées à l’activité de l’entreprise entraînent un ralentissement du rythme de production, des réductions d’horaires ou des jours de chômage partiel. Cette accélération comme ces ralentissements des rythmes de production interfèrent inévitablement avec les rythmes familiaux (= domaine de la famille), posant des problèmes de garde d’enfants ou de travail de nuit ou posté. Le rôle des syndicats (= domaine du don du fait de la liberté d’adhésion des travailleurs) intervient alors pour négocier ces variations de rythme.
En sens inverse, les grands rythmes de la vie humaine, les grossesses et les naissances, les maladies, les décès, le vieillissement, la démographie en général (= domaine de la famille) ont des conséquences évidentes sur les rythmes des entreprises (= domaine du marché) qui doivent faire face aux absences, aux départs à la retraite, comme sur celui des collectivités et de l’État (= domaine de l’État) qui doivent anticiper les besoins en logements, en écoles... Les projections controversées sur l’espérance de vie, l’espérance de vie en bonne santé, le nombre d’enfants par femme, le taux de renouvellement des générations, sont là pour prouver que ces rythmes humains ne sont pas simples à analyser et encore moins à gérer.
Ces quelques exemples montrent l’importance d’être attentif aux rythmes spécifiques de chacun des domaines de la vie sociale et d’éviter que les rythmes d’un domaine, n’envahissent ceux des autres domaines. N’y aurait-il pas là un terrain de recherche intéressant à prospecter ?
Deux groupes de questions se posent :
- dans un premier temps ceux qui concernent l’analyse de l’ensemble des rythmes en cause. De quelles données peut-on disposer ? Qui peut mener ces analyses (sociologues, économistes, politiques, etc. ? Qui est compétent pour quels domaines ? Comment mettre les résultats en relation ? Comment les diffuser ?
- dans un deuxième temps le groupe de questions lié à la décision. Quel domaine a barre sur les autres ? Est-ce légitime ? Qui arbitre ? Quelle autorité a compétence, sur quel domaine ? À quelles conditions des négociations peuvent déboucher sur des décisions qui respectent les différents rythmes ? Comment arriver à des compromis ?
Références bibliographiques
É. Autant, Construire une société conviviale, pour un nouveau modèle, l’Harmattan, Paris, 2013.
La convivialité - Ivan Illich -
Ghislaine Garmilis
Séminaire « Philosophie et management »
DEA 124 – Année 2002-2003
La convivialite ivan illich (221.48 Ko)
Abrégé du manifeste convivialiste Declaration d’interdependance1
Jamais l’humanité n’a disposé d’autant de ressources matérielles et de compétences techniques et scientifiques. Prise dans sa globalité, elle est riche et puissante comme personne dans les siècles passés n’aurait pu l’imaginer. Rien ne prouve qu’elle en soit plus heureuse. Mais nul ne désire revenir en arrière, car chacun sent bien que de plus en plus de potentialités nouvelles d’accomplissement personnel et collectif s’ouvrent chaque jour.
Pourtant, à l’inverse, personne non plus ne peut croire que cette accumulation de puissance puisse se poursuivre indéfiniment, telle quelle, dans une logique de progrès technique inchangée, sans se retourner contre elle-même et sans menacer la survie physique et morale de l’humanité. Les premières menaces qui nous assaillent sont d’ordre matériel, technique, écologique et économique. Des menaces entropiques. Mais nous sommes beaucoup plus impuissants à ne serait-ce qu’imaginer des réponses au second type de menaces. Aux menaces d’ordre moral et politique. À ces menaces qu’on pourrait qualifier d’anthropiques.
Le problème premier
Le constat est donc là : l’humanité a su accomplir des progrès techniques et scientifiques foudroyants, mais elle reste toujours aussi impuissante à résoudre son problème essentiel : comment gérer la rivalité et la violence entre les êtres humains ? Comment les inciter à coopérer tout en leur permettant de s’opposer sans se massacrer ? Comment faire obstacle à l’accumulation de la puissance, désormais illimitée et potentiellement auto-destructrice, sur les hommes et sur la nature ? Si elle ne sait pas répondre rapidement à cette question, l’humanité disparaîtra. Alors que toutes les conditions matérielles sont réunies pour qu’elle prospère, pour autant qu’on prenne définitivement conscience de leur finitude.
Nous disposons de multiples éléments de réponse : ceux qu’ont apportés au fil des siècles les religions, les morales, les doctrines politiques, la philosophie et les sciences humaines et sociales. Et les initiatives qui vont dans le sens d’une alternative à l’organisation actuelle du monde sont innombrables, portées par des dizaines de milliers d’organisations ou d’associations, et par des dizaines ou des centaines de millions de personnes. Elles se présentent sous des noms, sous des formes ou à des échelles infiniment variées : la défense des droits de l’homme, du citoyen, du travailleur, du chômeur, de la femme ou des enfants ; l’économie sociale et solidaire avec toutes ses composantes : les coopératives de production ou de consommation, le mutualisme, le commerce équitable, les monnaies parallèles ou complémentaires, les système d’échange local, les multiples associations d’entraide ; l’économie de la contribution numérique (cf. Linux, Wikipedia etc.) ; la décroissance et le post-développement ; les mouvements slow food, slow town, slow science ; la revendication du buen vivir, l’affirmation des droits de la nature et l’éloge de la pachamama ; l’altermondialisme, l’écologie politique et la démocratie radicale, les indignados, Occupy Wall Street ; la recherche d’indicateurs de richesse alternatifs, les mouvements de la transformation personnelle, de la sobriété volontaire, de l’abondance frugale, du dialogue des civilisations, les théories du care, les nouvelles pensées des communs, etc.
Pour que ces initiatives si riches puissent contrecarrer avec suffisamment de puissance les dynamiques mortifères de notre temps et qu’elles ne soient pas cantonnées dans un rôle de simple contestation ou de palliation, il est décisif de regrouper leurs forces et leurs énergies, d’où l’importance de souligner et de nommer ce qu’elles ont en commun.
Du convivialisme
Ce qu’elles ont en commun, c’est la recherche d’un convivialisme, d’un art de vivre ensemble (con-vivere) qui permette aux humains de prendre soin les uns des autres et de la Nature, sans dénier la légitimité du conflit mais en en faisant un facteur de dynamisme et de créativité. Un moyen de conjurer la violence et les pulsions de mort. Pour le trouver nous avons besoin désormais, de toute urgence, d’un fond doctrinal minimal partageable qui permette de répondre simultanément, en les posant à l’échelle de la planète, au moins aux quatre (plus une) questions de base :
- La question morale : qu’est-il permis aux individus d’espérer et que doivent-ils s’interdire ?
- La question politique : quelles sont les communautés politiques légitimes ?
- La question écologique : que nous est-il permis de prendre à la nature et que devons-nous lui rendre ?
- La question économique : quelle quantité de richesse matérielle nous est-il permis de produire, et comment, pour rester en accord avec les réponses données aux questions morale, politique et écologique ?
- Libre à chacun d’ajouter à ces quatre questions, ou pas, celle du rapport à la surnature ou à l’invisible : la question religieuse ou spirituelle. Ou encore : la question du sens.
Considérations générales :
Le seul ordre social légitime universalisable est celui qui s’inspire d’un principe de commune humanité, de commune socialité, d’individuation, et d’opposition maîtrisée et créatrice.
Principe de commune humanité : par delà les différences de couleur de peau, de nationalité, de langue, de culture, de religion ou de richesse, de sexe ou d’orientation sexuelle, il n’y a qu’une seule humanité, qui doit être respectée en la personne de chacun de ses membres.
Principe de commune socialité : les êtres humains sont des êtres sociaux pour qui la plus grande richesse est la richesse de leurs rapports sociaux.
Principe d’individuation : dans le respect de ces deux premiers principes, la politique légitime est celle qui permet à chacun d’affirmer au mieux son individualité singulière en devenir, en développant sa puissance d’être et d’agir sans nuire à celle des autres.
Principe d’opposition maîtrisée et créatrice : parce que chacun a vocation à manifester son individualité singulière il est naturel que les humains puissent s’opposer. Mais il ne leur est légitime de le faire qu’aussi longtemps que cela ne met pas en danger le cadre de commune socialité qui rend cette rivalité féconde et non destructrice.
De ces principes généraux découlent des :
Considérations morales
Ce qu’il est permis à chaque individu d’espérer c’est de se voir reconnaître une égale dignité avec tous les autres êtres humains, d’accéder aux conditions matérielles suffisantes pour mener à bien sa conception de la vie bonne, dans le respect des conceptions des autres
Ce qui lui est interdit c’est de basculer dans la démesure (l’hubris des Grecs), i.e. de violer le principe de commune humanité et de mettre en danger la commune socialité
Concrètement, le devoir de chacun est de lutter contre la corruption.
Considérations politiques
Dans la perspective convivialiste, un État ou un gouvernement, ou une institution politique nouvelle, ne peuvent être tenus pour légitimes que si :
- Ils respectent les quatre principes, de commune humanité, de commune socialité, d’individuation et d’opposition maîtrisée, et que s’ils facilitent la mise en œuvre des considérations morales, écologiques et économiques qui en découlent ;
Plus spécifiquement, les États légitimes garantissent à tous leurs citoyens les plus pauvres un minimum de ressources, un revenu de base, quelle que soit sa forme, qui les tienne à l’abri de l’abjection de la misère, et interdisent progressivement aux plus riches, via l’instauration d’un revenu maximum, de basculer dans l’abjection de l’extrême richesse en dépassant un niveau qui rendrait inopérants les principes de commune humanité et de commune socialité ;
Considérations écologiques
L’Homme ne peut plus se considérer comme possesseur et maître de la Nature. Posant que loin de s’y opposer il en fait partie, il doit retrouver avec elle, au moins métaphoriquement, une relation de don/contredon. Pour laisser aux générations futures un patrimoine naturel préservé, il doit donc rendre à la Nature autant ou plus qu’il ne lui prend ou en reçoit.
Considérations économiques
Il n’y a pas de corrélation avérée entre richesse monétaire ou matérielle, d’une part, et bonheur ou bien-être, de l’autre. L’état écologique de la planète rend nécessaire de rechercher toutes les formes possibles d’une prospérité sans croissance. Il est nécessaire pour cela, dans une visée d’économie plurielle, d’instaurer un équilibre entre Marché, économie publique et économie de type associatif (sociale et solidaire), selon que les biens ou les services à produire sont individuels, collectifs ou communs.
Que faire ?
Il ne faut pas se dissimuler qu’il faudra pour réussir affronter des puissances énormes et redoutables, tant financières que matérielles, techniques, scientifiques ou intellectuelles autant que militaires ou criminelles. Contre ces puissances colossales et souvent invisibles ou illocalisables, les trois armes principales seront :
- L’indignation ressentie face à la démesure et à la corruption, et la honte qu’il est nécessaire de faire ressentir à ceux qui directement ou indirectement, activement ou passivement, violent les principes de commune humanité et de commune socialité.
- Le sentiment d’appartenir à une communauté humaine mondiale.
- Bien au-delà des « choix rationnels » des uns et des autres, la mobilisation des affects et des passions.
Rupture et transition
Toute politique convivialiste concrète et appliquée devra nécessairement prendre en compte :
- l’impératif de la justice et de la commune socialité, qui implique la résorption des inégalités vertigineuses qui ont explosé partout dans le monde entre les plus riches et le reste de la population depuis les années 1970
- Le souci de donner vie aux territoires et aux localités, et donc de reterritorialiser et de relocaliser ce que la mondialisation a trop externalisé.
- L’absolue nécessité de préserver l’environnement et les ressources naturelles.
- L’obligation impérieuse de faire disparaître le chômage et d’offrir à chacun une fonction et un rôle reconnus dans des activités utiles à la société.
La traduction du convivialisme en réponses concrètes doit articuler, en situation, les réponses à l’urgence d’améliorer les conditions de vie des couches populaires, et celle de bâtir une alternative au mode d’existence actuel, si lourd de menaces multiples. Une alternative qui cessera de vouloir faire croire que la croissance économique à l’infini pourrait être encore la réponse à tous nos maux.
Claude Alphandéry, Geneviève Ancel, Ana Maria Araujo (Uruguay), Claudine Attias-Donfut, Geneviève Azam, Akram Belkaïd (Algérie), Yann Moulier-Boutang, Fabienne Brugère, Alain Caillé, Barbara Cassin, Philippe Chanial, Hervé Chaygneaud-Dupuy, Eve Chiapello, Denis Clerc, Ana M. Correa (Argentine), Thomas Coutrot, Jean-Pierre Dupuy, François Flahault, Francesco Fistetti (Italie), Anne-Marie Fixot, Jean-Baptiste de Foucauld, Christophe Fourel, François Fourquet, Philippe Frémeaux, Jean Gadrey, Vincent de Gaulejac, François Gauthier (Suisse), Sylvie Gendreau (Canada), Susan George (États-Unis), Christiane Girard (Brésil), François Gollain (Royaulme Uni), Roland Gori, Jean-Claude Guillebaud, Paulo Henrique Martins (Brésil), Dick Howard (États-Unis), Marc Humbert, Éva Illouz (Israël), Ahmet Insel (Turquie), Geneviève Jacques, Florence Jany-Catrice, Zhe Ji (Chine), Hervé Kempf, Elena Lasida, Serge Latouche, Jean-Louis Laville, Camille Laurens, Jacques Lecomte, Didier Livio, Gus Massiah, Dominique Méda, Margie Mendell (Canada), Pierre-Olivier Monteil, Jacqueline Morand, Edgar Morin, Chantal Mouffe (Royaume Uni), Osamu Nishitani (Japon), Alfredo Pena-Vega, Bernard Perret, Elena Pulcini (Italie), Ilana Silber (Israël), Roger Sue, Elvia Taracena (Mexique), Frédéric Vandenberghe (Brésil), Patrick Viveret.
1[1] Ce texte est l’abrégé du Manifeste convivialiste, publié le 14 juin 2013 aux éditions Le Bord de l’eau (48 p. 5 €). Les lecteurs qui se sentiront en accord avec les principes qu’il expose peuvent en témoigner en déclarant leur soutien.
[signature]